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  • Prix 2012 de la chancellerie des universités de Paris

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  • Prix 2012 de la Chancellerie des universités de Paris

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    Marie-Jeanne Zenetti, qui est actuellement ATER dans le département de Littérature générale et comparée, a obtenu le prix 2012 de la Chancellerie des universités de Paris de la meilleure thèse en lettres et sciences humaines. Cette thèse, préparée sous la direction de Tiphaine Samoyault,**a été soutenue le lundi 28 novembre à l’Université Paris 8. Le jury était composé de : M. Ã‰ric Marty (Université Paris VII - Diderot) M. Denis Mellier (Université de Poitiers) M. Philippe Ortel (Université Toulouse II - Le Mirail) et M. Lionel Ruffel (Université Paris 8)

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    Résumé de la thèse "Factographies : pratiques et réception des formes littéraires de l’enregistrement à l’époque contemporaine dans les littératures française, allemande et nord-américaine" :

    Ce travail a pour objet la construction d’une catégorie formelle, qui émerge dans la littérature occidentale depuis les années soixante. Dans son cours au Collège de France intitulé /La Préparation du Roman/, Roland Barthes s’attache à définir une pratique, la « notation », qu’il illustre par l’étude d’un ensemble de formes, du haïku japonais aux Épiphanies de James Joyce, en passant par ses propres « incidents ». Dans la lignée de ces propositions théoriques, cette thèse propose de définir et d’étudier une « constellation » de formes (W. Benjamin) caractérisées à la fois par leur aspect fragmentaire et par leur inscription dans le domaine des littératures non-fictionnelles. A partir d’un corpus français, américain et allemand, rassemblant les Å“uvres de Charles Reznikoff (/Testimony/), d’Annie Ernaux (/Journal du dehors/ et /La Vie extérieure/), de Marcel Cohen (la trilogie des /Faits/), d’Alexander Kluge (/Schlachtbeschreibung/) et de Georges Perec (/Récits d’Ellis Island/ et /Tentative d’épuisement d’un lieu parisien/), elle propose une méthode d’élaboration d’une catégorie formelle inédite nommée « factographies » et s’interroge sur ce qui motive et sur ce qui légitime le geste critique consistant à rassembler les Å“uvres sous le signe d’une telle catégorie. Dans cette optique, une large place a été faite aux théories de la réception et aux possibilités qu’elles offrent de redéfinition de la généricité.

     

    Selon une approche descriptive, d’abord, ce travail identifie les traits caractéristiques des formes factographiques. Celles-ci se définissent comme le résultat d’un certain nombre de techniques de captation et de recomposition littéraire : elles se présentent tantôt comme des instantanés, relevant d’une pratique de la notation et rapportant de brèves scènes quotidiennes ou de petits tableaux, tantôt comme des tissages de propos prélevés dans les conversations ordinaires, dans les discours médiatiques ou au fil des lectures qu’effectuent les auteurs, puis transcrits ou retranscrits transcrits dans le cadre de l’œuvre.

     

    Jouant ainsi avec les modèles de la photographie, du montage et du document, ces œuvres, qui se donnent comme des captations fragmentées du réel et des discours qui le constituent, mettent au jour les enjeux et les difficultés d’une représentation littéraire du réel qui échappe aux modèles du roman réaliste et de la narration factuelle. Elles se présentent ainsi comme des objets multifonctionnels, suscitant des effets de reconnaissance complexes, à mi-chemin entre œuvre et document. Elles invitent en outre à interroger la notion d’écritures factuelles dans une perspective plus vaste que ne l’autorisent communément les formes canoniques, narratives, de la représentation du réel.

     

    Ces formes se définissent également par leur fonctionnement spécifique : dans une perspective pragmatique, elle sont ainsi envisagées du point de vue des rapports entre texte et lecteur qu’elles instaurent. Mobilisant à la fois les résultats d’une enquête menée auprès de lecteurs empiriques (publiés en annexe de la thèse) et les théories de la lecture postulant l’existence d’un lecteur virtuel, ce travail interroge donc également les modalités d’activation du texte factographique, à travers l’analyse détaillée d’un ensemble d’extraits. Ces Å“uvres, en effet, si elles ne programment pas une interprétation donnée, disposent le lecteur à une activité interprétative d’une singulière intensité et tendent à susciter un réseau de relations entre expérience littéraire et expérience extra-littéraires. Les formes factographiques sont dès lors envisageables comme des dispositifs destinés à favoriser chez le lecteur une série d’interrogations – interrogation des textes et interrogation du monde dont les textes cherchent à rendre compte.

     

    Enfin, la cohérence de l’ensemble ne pouvait être pleinement garantie qu’en envisageant cet ensemble dans ses rapports avec un ensemble plus vaste : celui de la production de son temps. La troisième et dernière étape de construction de cette catégorie formelle consiste donc à l’inscrire et à la situer dans un moment de l’histoire littéraire et artistique. Du point de vue de l’histoire littéraire, les factographies elles doivent être considérées comme autant de réponses singulières à certaines questions que se pose la littérature contemporaine : question de la littéralité et du témoignage, de la représentation du réel et de l’opposition entre langue ordinaire et langue littéraire. Pourtant, ces Å“uvres ne prennent tout leur sens que dans une perspective élargie à l’ensemble du paysage artistique – et plus particulièrement à l’art contemporain. Parce qu’elles réfutent le paradigme de l’auteur-créateur hérité du romantisme, parce qu’elles reconfigurent les modalités de la production et de la réception, parce qu’enfin elles pensent autrement les usages possibles de l’œuvre littéraire, les factographies apparaissent en grande partie comme l’appropriation littéraire de certains bouleversements dont témoignent les pratiques de l’art contemporain.

     

    L’association de ces trois types d’approche et de définition formelle (descriptive, pragmatique, historique) vise à constituer les factographies en une « constellation » de formes, c’est-à-dire à les rassembler sous la forme d’une totalité construite, qui ne préexistait pas à sa formulation théorique, mais susceptible de constituer un point de repère dans le paysage des Å“uvres. La cohérence de l’ensemble tient d’abord à l’affirmation de certains traits communs : les factographies présentent une série de caractéristiques objectivement repérables, elles impliquent des modes de lecture similaires, enfin elles incarnent une même idée de ce qu’est et de ce que peut la littérature. Mais la validité de la proposition tient également à ses usages possibles : les réflexions menées au sujet du corpus initial peuvent ainsi être élargies à un nombre croissant d’œuvres parues en France et aux États-Unis dans les deux dernières décennies, recensées en annexe de la thèse. Loin de constituer un simple hapax, les factographies seraient ainsi révélatrices d’une nouvelle voie ouverte à une littérature contemporaine parfois lassée du roman et à la recherche de nouvelles formes. Dès lors, il s’avère nécessaire de prendre acte des modifications que de telles formes font subir non seulement à la littérature mais également au discours sur la littérature, dans la mesure où elles interrogent les limites du discours critique et le partage des disciplines.

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